
Les Aventures de
Belle Lurette
Chapitre 1 : Belle Lurette et ses parents
Au magnifique royaume de Saint Glin Glin, il y avait un château, et
dans ce château vivaient le Roi Cléobert et la Reine Myrthilde.
Le Roi et la Reine s’aimaient beaucoup et donnèrent bientôt le jour à
une petite fille.
Cette petite fille fut appelée Belle Lurette.
« Belle » parce qu’elle était belle, et « Lurette » comme Lucette ou
Laurette - les prénoms de ses deux grand-mères - mais c’était plus
original !
Belle Lurette était une petite fille heureuse, élevée avec amour.
Sous le regard bienveillant de ses parents, elle se révéla bientôt être
une fillette pleine de joie de vivre, mais aussi curieuse au caractère
bien trempé.
- Cela lui passera, disait le roi Cléobert, à sa femme qui s’en inquiétait.
Belle Lurette grandit et devint une très jolie jeune fille.
Mais à l’aube de ses seize ans, ses parents la convoquèrent
solennellement dans la grande salle de réception du château.
- Eum, eum, fit le roi Cléobert, pour s’éclaircir la voix.
- Bien, bien, fit la reine Myrtilde, comme entrée en matière.
- Ma chère enfant, reprit le roi Cléobert, tu es grande maintenant
et dorénavant, tu vas devoir assumer ton rôle de Princesse du
Royaume de Saint Glin Glin.
Belle Lurette étonnée ouvrit de grand yeux puis fronça les sourcils.
Elle se tut, et croisa les bras en attendant la suite.
- Il est temps pour toi, continua Cléobert, de prendre
connaissance de la charte de ta fonction.
En effet, les princesses ont des droits et des devoirs à respecter !
N’est ce pas Myrtilde ?
Et il se tourna vers sa femme qui approuva de la tête.
- Alors, marmonna Cléobert en déroulant un long parchemin, ah voici !
Et il se mit à lire :
1
CHARTE OFFICIELLE DE LA FONCTION PRINCESSORALE
Article 1 :
Une princesse doit être toujours belle et bien vêtue.
Dans ce but, seuls les corsets et robes magnifiques seront autorisés.
Les tenues et coiffures seront changées tous les jours.
En conséquence, les activités sportives sont proscrites.
Article 2 :
Une princesse doit être souriante mais discrète. Les rires, et
manifestations trop débridées sont à oublier.
Article 3 :
Une princesse doit éviter de froisser qui que ce soit, en
gardant ses opinions pour elle-même.
Article 4 :
Une princesse ne se met jamais en colère et doit être
toujours d’humeur égale.
Article 5 :
Une princesse évite d’être plus intelligente que les autres
- même si elle l’est -
Article 6 :
Une princesse se fait servir et ne fait rien par elle-même.
Article 7 :
Une princesse doit épouser uniquement des princes.
Belle Lurette écoutait sans rien dire mais n’en croyait pas ses oreilles !
Elle se rendit compte que même avec tout le respect qu’elle portait à ses
parents, elle ne voulait absolument pas devenir princesse.
Elle qui aimait grimper aux arbres, chanter à tue-tête dans son bain, dire des
gros mots, ne pas se laver les cheveux tous les jours.
Elle qui aimait porter les pantalons confortables de son père plutôt que des
corsets étouffants, et garder des poils sous les bras - parce que ça tient
chaud l’hiver - Non, elle ne pouvait vraiment pas accepter toutes ces
contraintes !
- Je refuse, dit-elle d’une voix forte et déterminée coupant la parole à son
père qui faillit s’étrangler.
Il y eut un silence.
- Pardon ? tonna soudain Cléobert, tandis que Myrtilde se cachait le visage
dans ses mains craignant la colère de son mari qui était un peu soupe au
lait.
- Je refuse, répéta Belle Lurette, dans ces conditions je ne veux pas être
une princesse !
- Ah, mais tu n’as pas le choix ma fille ! lui ordonna son père, ton destin est
tout tracé : le royaume de Saint Glin Glin a besoin d’une princesse, tu seras
celle-ci ma fille et plus tard, tu épouseras un prince et deviendra reine !
2
Belle Lurette qui avait du caractère se mit en colère et protesta tant qu'elle put… Mais rien n'y fit, alors elle se réfugia dans sa chambre et ne voulut plus en sortir.
Chaque jour, des femmes de chambre venaient l'habiller somptueusement et lui apportaient ses repas. Mais peu à peu, elle n'eut même plus le goût de manger elle qui était si gourmande.
Elle dépérit et trouva la vie bien triste.
Ses parents se désolaient mais ne voulurent pas céder.

Chapitre 2 : La princesse fugueuse
Une nuit, elle se ressaisit et décida de s'enfuir.
Elle fut obligée de partir à la va-vite, de peur de manquer de courage.
Alors, elle garda la belle robe et les belles chaussures qu'on lui avait mis le matin-même, et sortit discrètement de sa chambre quand elle fut sûre que ses parents dormaient.
Une fois dehors, elle se mit à courir le plus vite possible.
Mais la robe et les chaussures la gênaient, il fallait qu'elle enlève tout ça si elle voulait être plus rapide ! Elle finit par s'arrêter en lisière de forêt, toute essoufflée, et essaya de se débarrasser de sa robe.
Mais sitôt qu'elle enlevait une manche, celle-ci se glissait à nouveau le long de son bras, sitôt qu'elle descendait le jupon, celui-ci remontait aussi vite, sitôt qu'elle dénouait le corset d'un côté, il se resserrait de l'autre.
Elle était prisonnière de sa tenue ! Épuisée et malheureuse elle se mit à pleurer.
Alors, la magie de la forêt opéra, les arbres et les animaux de nuit se mirent à parler.
- Qui est-ce ? demanda un Chêne.
- Ouh c'est Belle Lurette, lui répondit le hibou.
- Pourquoi pleure t'-elle ? demanda une fougère.
- Parce qu'elle ne veut pas devenir Princesse, chuchota un buisson.
- Oh ! comme je la comprends, être Princesse, quelle plaie ! s'exclama une chouette, chers amis aidons-la !
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Les arbres, fougères et buissons se mirent à bouger sous l'effet d'une petite brise, et avec une infinie douceur firent glisser leurs plus petites branches et leurs feuilles les plus veloutées - pour ne pas risquer de griffer la peau - sous la robe et le corset.
Et en une seconde tout fut enlevé chaussures comprises ! Belle Lurette se retrouva presque nue.
- Je vous remercie dit-elle en frissonnant, j'ai un peu froid...
- Patience jeune fille, dit la Fougère.
Et la petite brise se remit à souffler.
Elle sentit une caresse sur ses pieds et se retrouva avec de confortables chaussures en mousse.
Puis un petit souffle chatouilla ses épaules et une douce chemisette en plume lui couvrit le torse. Le petit souffle descendit sur ses jambes et un pantalon de grandes feuilles vint lui ceindre la taille.
Enfin la chouette déposa délicatement sur sa tête, un adorable petit béret tissé de branches de sapin.
- Dans un an et un jour si tu n'es pas de retour, tu ne pourras plus jamais redevenir princesse, prévint la Fougère.
- Je suis d'accord, dit Belle Lurette, dites-moi Mme la Fougère c'est par où le monde ?
- Patience jeune fille, le monde est partout, dit la Fougère, il faut juste commencer à suivre un chemin.
Belle Lurette hésita, lequel prendre ?
- Lequel est le bon Mme La Fougère ? demanda-t'-elle.
Mais la fougère ne répondit plus, elle se contenta de se balancer doucement dans la brise nocturne.
Peu importe, se dit Belle Lurette, elle regarda autour d'elle et se décida à prendre le chemin qui semblait se diriger vers la lune.
Elle marcha d'un bon pas et savoura ce moment de calme sous les étoiles. Puis peu à peu elle sentit la fatigue l'envahir et finit par s'allonger au pied d'un arbre, pour s'endormir.
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Chapitre 3 : Première rencontre
Au petit matin elle rêvait qu'elle était dans son lit, mais voilà qu'il pleut dans son lit !
Un coup de tonnerre la réveilla en sursaut !
Une petite pluie tombait doucement.
La jeune fille mit quelques secondes à se rappeler les évènements de la veille.
Elle s'étira et se remit en route pour chercher un abri.
Bizarrement, cela lui plaisait de marcher sous la pluie, elle avait un peu froid
mais savourait cette sensation qu'elle n'avait pas eu souvent l'occasion d'expérimenter.
À Saint Glin Glin, on lui interdisait de sortir sous la pluie, « Mais ma fille, ça ne se fait pas ! » lui disait Myrtilde.
Les gouttes glissaient sur ses joues.
- On dirait des larmes, se dit-elle, je suis trempée quelle joie !
Oh ! Les oiseaux chantent, eux aussi aiment la pluie !
Et tout à coup elle se mit à chanter à pleine voix.
La pluie cessa peu à peu. Belle Lurette continua à marcher et bientôt le soleil apparut et sécha ses vêtements.
Elle chemina quelque temps dans la forêt.
Une saison peut-être… La plus rousse.
Elle apprit à boire dans les feuilles et suivait les écureuils pour manger des noisettes et des baies.
Le temps était plutôt beau, et la vie était belle.
Chaque jour elle chantait en marchant.
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Un jour, en bordure de clairière, alors qu'elle chantait à pleine voix, tout à coup elle faillit marcher sur quelqu'un !
Ce quelqu'un était allongé au pied d'un arbre et, confortablement installé, ronflait très fort.
Il enlaçait une bouteille vide comme si c'était son doudou.
Il semblait tout à fait heureux et rêvait sûrement à des choses agréables car un sourire béat flottait sur ses lèvres.
Belle Lurette l'examina et se dit que quelque chose clochait. Ce personnage était bizarre...
Ah oui, il était tout petit ! Alors c'était sûrement un enfant ??
Elle se pencha un peu plus, pour mieux le regarder, et tout à coup,
le dormeur émit un petit rôt qui sentait une drôle d'odeur !
Belle Lurette se boucha le nez, beurk...
Elle prit délicatement la bouteille vide et lut l'étiquette: « Sirop de Sureau, cuvée d'automne ».
J'aime mieux ça, se dit-elle, mais que fait cet enfant tout seul dans la forêt ?
Intriguée elle se pencha de nouveau et le secoua doucement:
- Réveilles toi, mais réveilles toi donc mon petit !
Le personnage ouvrit un œil, puis l'autre… Et se redressa d'un coup !
- Hein ? Quoi ?dit-il d'une voix pâteuse, ne parlez pas comme ça, pourquoi criez-vous ?... J'ai tellement mal à la tête !
Et il rôta si fort qu'une nuée d'oiseaux s'envola.
- Mais enfin, que fais tu là ? Où est ta maman ? lui demanda Belle Lurette.
- Ma maman, ma maman, mais que viens faire ma maman là-dedans !?
Et puis arrêtez de me parler comme si j'étais un enfant !
Il se mit debout tant bien que mal, bomba le torse et annonça fièrement:
- Je ne suis pas un enfant, je suis un nain !
- Oh je suis désolée, s'excusa Belle Lurette, il faut dire que vous ressemblez un peu à un enfant… Quoique… Maintenant que vous le dites.
Il est vrai qu'après un examen plus minutieux, elle constata que le personnage portait une barbe,
et que son visage ressemblait à un adulte qui n'aurait pas grandit.
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Le nain s'étira et baya longuement, puis il sortit une paire de lunettes de sa poche qu'il chaussa sur son nez.
- Bien dit-il satisfait, je suis désolé de vous accueillir comme ça, mais nous avons fait une petite fête…
Disons, bien festive, hier soir... Voyons, à qui ai-je l'honneur ? Oh mais vous êtes une demoiselle !
- C'est plutôt à moi de vous demander ce que vous faites par ici ?
- Je suis la princesse du royaume de Saint Glin Glin, répondit Belle Lurette, et je me suis enfuie.
- Une princesse ? ricana le nain, eh bien vous n'avez pas du tout l'air d'une princesse, plutôt d'un épouvantail !
Et il se mit à rire de sa petite plaisanterie, à rire mais à rire, comment dire ? D'un grand rire joyeux, à se taper sur les cuisses et se faire mal au ventre !
La jeune fille fronça les sourcils, elle souleva son béret et toucha ses cheveux.
C'est vrai qu'ils étaient bien emmêlés, et son pantalon de feuilles était tout froissé.
- Il ne faut pas vous fier aux apparences Monsieur le Nain qui ressemble à un enfant,
moi je suis une princesse qui ressemble à un épouvantail, c'est comme ça ! Nous sommes quittes ! Et elle se mit à rire avec lui.
Chapitre 4 : L'accueil des nains et la vieille femme
Belle Lurette sympathisa finalement avec le nain, à qui elle conta son histoire.
Celui-ci hochait la tête en écoutant, puis lui proposa de faire une halte chez lui.
- Enfin, chez nous, lui expliqua-t-il tout en marchant, car nous sommes sept, comme les sept merveilles du monde, ajouta-t-il avec malice.
- Oh, c'est une grande famille alors ! s'exclama Belle Lurette, moi, j'aurais adoré avoir des frères et sœurs.
Ils arrivèrent bientôt dans une clairière où se trouvait une maisonnette à la cheminée fumante.
Le nain sonna une cloche qui était accrochée près de la porte, et aussitôt parut aux fenêtres et à la porte, une foule de petits personnages qui se ressemblaient… Et ne se ressemblaient pas ! Comme des grains de sable.
- Oh ! dit l'un, regardez, il y a une jeune fille !
Tous entourèrent Belle Lurette pour lui souhaiter la bienvenue et lui posèrent un tas de questions. Il fallut qu'elle raconte son histoire une deuxième fois.
Il y eut une certaine émotion quand elle leur expliqua qu'elle était une princesse en fuite, car incomprise de ses parents.
- Mon dieu quel malheur ! dit l'un d'eux les larmes aux yeux, j'aurai bien besoin d'un petit remontant moi ! Aussitôt un bouchon sauta au plafond et des verres circulèrent.
- Mais comment allons nous faire pour vous accueillir comme il se doit ? s'inquiéta un autre qui sirotait sa boisson.
- C'est vrai ça, nous n'avons pas la literie qu'il faut ! renchérit un autre, en se resservant un petit coup, une vraie princesse n'a-t-elle pas le dos délicat ?
Ne lui faut-il pas plusieurs matelas de plumes d'oies empilés, pour que ce soit plus doux ?
- Et sans petit pois caché dessous, précisa doctement un troisième, oh mon verre est déjà vide ?
À leur grande surprise, Belle Lurette refusa tant de luxe et leur expliqua que bien qu'étant une authentique princesse, elle pouvait dormir n'importe où.
- Vous buvez toujours autant ? Demanda-t-elle
- Ah mais ce n'est que du sirop avec un peu d'eau pétillante mademoiselle ! dit un quatrième, certes nous sommes de bons vivants, mais sobres !
D'ailleurs je propose d'organiser une petite fête ce soir en votre honneur !
Il y eut un hourra général et ainsi fut fait !
Belle Lurette resta quelque temps chez les nains.
Une saison peut-être… La plus froide.
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Elle se prit d'amitié pour ses petits hôtes. Ils étaient charmants, attentionnés et très, très joyeux ! Chaque évènement même minime, devenait prétexte à une fête, et autour d'un bon repas, on débouchait une bouteille de sirop de sureau, ou d'ortie, ou de mélisse, ou de verveine…
De plus, les nains étaient de fins cuisiniers ce qui ne gâtait rien.
Et ils faisaient des blagues toute la journée, des blagues qui les faisait se rouler par terre de rire !
Au début, ils refusèrent que Belle Lurette fasse quoique ce soit, car tout de même, pour une princesse, ce n'était pas correct !
Mais elle voulut absolument être utile. Et entre la cuisine et la coupe du bois, elle choisit la coupe du bois.
Et pourquoi pas ? leur dit-elle, surprise de leurs airs étonnés.
Mais les nains comprirent très vite qu'elle n'était pas une princesse comme les autres, et la laissèrent totalement libre de faire ce qu'elle voulait.
La vie était douce au coin du feu, car la neige eût bientôt recouvert la clairière et la maison.
On faisait des concours de blagues, on chantait, on jouait à des jeux de société, et on faisait même des batailles de boules de neige !
Un jour que les nains étaient partis rendre visite à des amis qui les avaient invités à une fête, une vieille femme vint frapper à la porte.
Belle Lurette qui était donc seule ce jour-là, lui permit d'entrer car il faisait très froid dehors.
La vieille femme avait appris que les nains hébergeaient une vraie princesse - grâce aux ragots qui circulaient dans la forêt - et expliqua qu'elle était commerçante et proposait à la vente, quantité de choses, comme par exemple un corset, que Belle Lurette refusa.
- Je n'aime pas les corsets dit-elle, ils m'empêchent de respirer.
Vous n'avez pas plutôt un pantalon ? Comme ça j'en aurai deux !
Non, la femme n'avait pas de pantalon, mais un peigne en véritable ivoire pour ses beaux cheveux, qu'elle refusa aussi.
- J'ai décidé de les couper très court aujourd'hui même, assura-t-elle, c'est plus pratique !
La femme contrariée, ne savait plus que faire, alors elle lui tendit une belle pomme bien rouge.
Belle Lurette qui commençait à en avoir assez et la trouvait trop insistante, fronça les sourcils :
- Une pomme ne suffira pas à faire une tarte, nous sommes sept, avec moi huit, et nous avons des appétits d'ogre.
Merci beaucoup Madame, mais il est temps de partir car j'ai à faire !
Et Belle Lurette la poussa dehors sans autres façons.
Dépitée la vieille sortit en la traitant de « Princesse mal embouchée ! ».
Vexée, elle repartit comme elle était venue.
Puis vint une autre saison... La plus parfumée et la plus fleurie.
Un matin, Belle Lurette se réveilla avec des fourmis dans les jambes, il était temps pour elle de reprendre la route.
Après des adieux chaleureux, elle quitta ses amis les sept nains, pour continuer son voyage, elle avait encore tant de choses à découvrir.
Elle repartit donc, avec plein de provisions dans sa besace, et autant de recommandations dans la tête.
Elle reprit son cheminement, et retrouva le plaisir de marcher en chantant.
Elle avait coupé ses cheveux, quelle joie, elle ne le regrettait pas, elle se sentait si légère sous son béret.
Avec son corps mince et son pantalon de feuilles, elle ressemblait à un garçon et cela ne lui déplaisait pas.
Elle aimait regarder sa nouvelle figure dans les flaques d'eau.
- Je ne suis pas mal en garçon ! Une princesse pourrait avoir envie de m'épouser... Et elle pouffa de rire toute seule, à cette perspective.
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Chapitre 5 : La chaussure
Peu à peu, elle quitta la forêt et traversa de grandes prairies.
Un jour, elle aperçut au loin, un château, perché sur une colline.
Elle eut un pincement au coeur car il ressemblait beaucoup au château de ses parents.
Elle s'aperçut que ceux-ci lui manquaient.
Que pouvaient-ils bien faire ? Pourvu qu'ils ne soient pas trop tristes.
- Le lendemain matin, le château avait disparu.
- Voilà qui est bizarre, se dit-elle. Mais peu lui importait et elle continua sa route.
Elle arriva en lisière de forêt et se dit qu'elle pourrait peut-être faire une pause. Elle chercha le long du chemin un coin propice, et tout à coup, elle se figea.
Elle aperçut quelque chose d'étrange. Il y avait un objet devant elle sur le chemin, un objet posé au sol, qui brillait quand le soleil l'effleurait.
Belle Lurette prudente, s'approcha doucement.
Cet objet était une chaussure, une magnifique chaussure de femme !
Elle regarda autour d'elle très étonnée, mais ne vit personne.
Qui avait pu perdre une chaussure pareille ?
Peut-être quelqu'un venant du château qu'elle avait aperçu ?
Elle tourna autour, indécise. Que devait-elle faire ? Continuer son chemin ? Ramener la chaussure ? La laisser là ?
Mais elle ne fit rien de tout cela, elle prit la chaussure et par jeu, ne put s'empêcher de l'essayer. Elle enleva sa sandale en mousse et l'enfila.
Surprise, elle constata qu'elle lui allait parfaitement.
Elle admirait son pied ainsi chaussé, quand soudain, un grand remue ménage survint derrière elle. Quelqu'un, sûrement caché là depuis un moment, dégringola d'un arbre !
- Aïe ! Zut ! Mademoiselle ! Euh non monsieur ! Enfin qui que vous soyez, laissez cette chaussure tranquille !
Belle Lurette se retourna et se retrouva nez à nez avec un jeune homme.
Celui-ci était de jolie figure et ses habits, quoique en désordre à cause de la chute, n'était pas ceux d'un paysan.
- Oh ! Je suis désolée, s'excusa-t-elle, elle est à vous ?
- Oui ! ... Non! ...Enfin je veux dire, elle est à moi, mais elle est destinée à une jeune femme.
- Ah ! pardon mais... À qui ai-je l'honneur ?
- Oh oui monsieur, je me présente, je suis le Prince Léosias, et il lui serra la main de manière si virile qu'elle en eut mal aux doigts !
Elle faillit lui dire qu'elle n'était pas un « monsieur », mais comme la situation l'amusait beaucoup, elle n'en fit rien.
- Oui, vous comprenez, continua le Prince Léosias, je viens de très loin, et je cherche la jeune fille à qui cette chaussure ira parfaitement...
Elle sera ma future épouse, enfin c'est ce qu'on m'a dit... Alors je fais le guet en attendant qu'elle passe...
- Eh bien ! Vous êtes un prince drôlement obéissant ! se moqua Belle Lurette.
- Vous trouvez ?... Vous avez peut-être raison... Que voulez-vous, mes parents veulent absolument me marier.
- Et vous, qu'en pensez-vous ?
Le Prince soupira :
- Je vais vous faire une confidence... Je ne suis pas prêt.
Il y eut un silence, le Prince examinait le pied de Belle Lurette toujours paré de la chaussure.
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- C'est incroyable comme elle vous va bien ! dit-il rêveur, vous avez de petits pieds pour un homme, c'est étrange, on m'avait pourtant dit qu'elle était destinée à une femme... Il la regarda attentivement.
- Vous êtes très joli garçon, on vous l'a déjà dit ?
Belle Lurette, gênée, se racla la gorge, elle n'avait aucune envie d'être découverte. Elle enleva précipitamment la chaussure.
- Bien, dit-elle d'une voix mal assurée et sautillant sur un pied pour remettre sa sandale de mousse, il se fait tard, il est temps que je reprenne la route, j'ai été très heureuse...
Je veux dire très heureux... de faire votre connaissance ! Et elle s'enfuit sans demander son reste.
- Attendez jeune homme, cria le Prince, je ne connais même pas votre nom !
Chapitre 6 : Le Prince Léosias
Au magnifique royaume de St AGlaGla, connu pour ses paysages grandioses, mais aussi ses températures glaciales, il y avait un château et dans ce château,
vivait aussi un Roi et une Reine qui s'aimaient beaucoup.
Peu après leur noces, ils donnèrent naissance à un petit garçon.
Ce petit garçon fut appeler Léosias, du prénom de son arrière Grand-Père,
qui s'était distingué par sa bravoure, aux temps anciens où la paix du Royaume était menacée.
Léosias grandit entouré de l'amour et de la bienveillance de ses parents.
Il se révéla être un petit garçon sensible et rêveur, qui aimait les livres, les papillons et les fleurs - cultivées en serre car il faisait très froid -
Tout ceci inquiétait beaucoup son père qui aurait préféré qu'il joue à des jeux, disons... Plus masculins.
Pourtant, en grandissant, Léosias fit la fierté de ses parents, car il devint un excellent cavalier et appris à manier les armes comme personne.
Lui aimait bien d'autres choses aussi, comme lire, dessiner, ou écrire des poèmes.
Mais il avait vite compris qu'il était plus simple de garder ça pour lui.
À l'aube de ses seize ans, ses parents le convoquèrent solennellement dans la grande salle de réception du château.
- Ah, mon cher fils, s'exclama son père quand il entra dans la salle, je suis heureux que tu sois là. Ta mère et moi, nous avons quelque chose de très important à te dire.
- Très important à te dire, approuva la Reine comme un écho.
- Tu es grand maintenant, continua son père, et tu vas devoir assumer ton rôle de Prince du Royaume de St AGlaGla!
Léosias, un peu surpris de ce ton si théâtral, croisa les bras et attendit la suite. Il écouta attentivement ses parents, comme il le faisait toujours.
- Il est temps pour toi, continua son père, de prendre connaissance de la charte de ta fonction. En effet, il faut que tu saches, que les Princes ont des droits et de devoirs à respecter !
- Des devoirs à respecter, répéta la Reine, d'un air convaincu.
- Et le Roi se mit à lire :
CHARTE OFFICIELLE DE LA FONCTION PRINCIERE
Article 1 :
Un prince se doit d'être courageux et intrépide en toutes circonstances, ainsi il lui est interdit d'être faible, d'avoir peur, de s'enfuir ou de pleurer.
Article 2 :
Un prince doit connaître parfaitement le maniement des armes, et l'art équestre, ainsi, les activités sportives seront préférés aux études ou activités artistiques.
Article 3 :
Un prince doit aimer le pouvoir, car il sera amener à l'exercer, quand il succédera à son père et deviendra Roi à son tour.
Article 4 :
Un prince se doit d'épouser uniquement des princesses, pour assurer la continuité de la lignée royale. Le pragmatisme sera préféré à l'amour.
Article 5 :
À cet effet, et pour lui faciliter la tâche, une chaussure magique lui sera confié : la demoiselle à qui ira parfaitement cette chaussure magnifiquement ouvragée et réalisée par nos meilleures cordonniers, sera la future Reine.
Le soir même, il quittait le royaume à cheval avec une magnifique chaussure de femme dans ses bagages...
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Chapitre 7 : Encore des rencontres
Belle Lurette marcha longtemps d'un bon pas, de peur que le Prince n'ait l'idée de la rattraper.
Mais il ne se passa rien, elle supposa qu'il avait repris son poste de guet dans son arbre et à cette idée elle se mit à rire !
Tout de même, quelle drôle de manière de chercher à se marier, est-ce ainsi qu'on tombe amoureux ? En essayant des chaussures ?
Peu lui importait, elle n 'avait qu 'une envie reprendre la route !
Elle traversa pendant quelques jours, un paysage de de forêts somptueuses et touffues emplies de chants d'oiseaux.
Belle Lurette qui aimait chanter décida de rester quelques temps avec eux.
Elle s'installa dans une petite clairière, posa sa besace et s 'allongea dans l'herbe. Elle soupira. L'air sentait bon.
Elle ferma les yeux et écouta...
Que c 'était beau !
Le temps passa...
Elle vécut de merveilleux moments à écouter les oiseaux puis à les imiter. Sifflement du martinet, trilles du merle, hululement de la chouette, percussion sèche et rapide du pivert...
Au bout de quelques semaines elle était capable de chanter et dialoguer avec eux.
Certains venaient même se poser sur sa tête.
Puis un matin, elle se réveilla et sentit qu'il était temps de partir.
Elle avait des fourmis dans les jambes ! Elle prit sa besace et marcha toute la journée accompagnée par le bruissement incessant de la canopée...
Comme un au revoir... Puis elle quitta bientôt la forêt.
Ce soir-là, elle s'arrêta près d'un ruisseau et s'endormit avec le chuchotement de l'eau.
Le lendemain matin, un petit bruit la réveilla, une sorte de bourdonnement. Elle ouvrit les yeux doucement. Et elle sursauta, cette fois complètement réveillée !
Des visages l'observaient en parlant à voix basse.
- Qui êtes vous ? Demanda Belle Lurette qui se redressa brusquement, vous m'avez fait peur ! Mais vous êtes des nains vous aussi ?
Les visages se regardèrent un peu étonnés.
- Mais non, dit le plus petit personnage, nous sommes des enfants, vous le voyez bien ?!
- Oui eh bien ce n'est pas si évident, grommela Belle Lurette de mauvaise humeur, il y a de tout par ici, des nains, des chaussures, des enfants !
Mais quand elle fut bien réveillée, elle admit qu'elle avait bien des enfants devant elle, des garçons, de six à dix ans,
avec le dernier qui était si petit qu'il tenait dans la paume de la main d'un de ces frères, par contre, il semblait être le plus dégourdi et le porte parole de tous.
Belle Lurette les compta.
- Mais vous êtes sept vous aussi ? s'exclama t'elle, C'est incroyable ça !
C'est une mode ou quoi ?
Les frères se regardèrent, un peu surpris de ce langage.
- Excusez-nous de vous avoir fait peur, dit le plus petit, nous nous demandions si vous aviez un quignon de pain à nous donner ?
Belle Lurette fouilla dans sa besace et leur donna le morceau qui lui restait.
- Voilà, mais ça va être juste pour sept.
- Non, non, c'est pour semer des miettes sur le chemin !
Merci beaucoup Mademoiselle. Et encore désolés pour le dérangement.
Et ce fut le signal du départ, les frères reprirent la route et Belle Lurette les regarda s'éloigner.
- Attendez, leur cria-t'-elle, si vous semez des miettes, les oiseaux vont les manger ! Mais les enfants continuèrent, ils étaient trop loin pour entendre...
- Oh et puis zut, se dit-elle, qu'ils se débrouillent.
Par contre pourquoi l'avaient ils appeler mademoiselle ?
Elle prit ses affaires et marcha un peu à la recherche d'une flaque d'eau ou d'une mare.
Au bout d'une heure elle trouva ce qu'elle cherchait : une petite
rivière coulait tranquillement entre des rochers, elle s'arrêta et examina son reflet dans l'eau.
Ses cheveux avaient repoussé.
C'est pour ça qu'ils l'avaient appelé mademoiselle !
Elle s'assit près de l'eau et posa délicatement son béret sur un rocher, puis elle s'empara de la paire de ciseaux que les nains avaient mis dans sa besace et entreprit de se couper les cheveux à nouveau.
Les cheveux courts c'est tellement plus confortable pour voyager.
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Chapitre 8 : Le village et le cochon
Les jours suivants, Belle Lurette ne rencontra personne, mais elle ne se sentait jamais seule car la nature était habitée par quantité de petits amis,
les oiseaux, les grenouilles, les fourmis et bien d'autres l'accompagnaient dans son voyage.
Un jour elle aperçut à nouveau le château perché sur la colline.
Décidément, celui-ci était bien étrange. Il avait disparu, et le voici ressuscité.
- Est ce que j'y arriverai un jour ? se demandait-elle de plus en plus intriguée par ce drôle de phénomène.
Un soir, au crépuscule, elle arriva à proximité d'un village.
Il semblait y avoir une grande agitation, les gens étaient dehors malgré l'heure tardive, le village était tout illuminé grâce à de grandes torches et on entendait de la musique.
- C'est une fête, s'exclama Belle Lurette, j'adore les fêtes !
Et elle pensa bien fort à ses amis les nains.
Excitée et un peu intimidée, elle marcha vers le village et entra bientôt dans la rue principale.
La foule était dense et personne ne remarqua sa présence.
Les enfants jouaient, les adultes dansaient.
Sur la place du village, un orchestre jouait une musique très entraînante.
La jeune fille charmée, se mit à taper la mesure avec son pied.
- Que cette musique est joyeuse ! pensa-t'elle ravie.
En revanche, elle ne comprenait pas bien pourquoi une telle fête.
Elle interrogea un vieil homme, assis sur un banc.
- Ooh fit-il de sa voix chevrotante, je vois que vous n'êtes pas d'ici, sinon vous seriez au courant !
Sachez que chaque année, à la même époque, le Conseil des Sages nous présente le nouveau chef du village !
Il se pencha vers elle et s'approcha de son oreille :
- Cette année, chuchota-t'il, on nous a dit que c'était un personnage extrêmement charismatique ! Puis, il fît une grimace :
- Enfin, on nous dit ça chaque année vous savez ! Mais quand même, dit-il en baissant à nouveau la voix, il paraît qu'il est si beau que seuls les gens intelligents peuvent le voir !
- C'est le grand soir alors ? demanda Belle Lurette
- Eh oui, vous avez tout compris jeune homme, dit le vieil homme,
ou jeune fille ? Êtes vous une fille ou un garçon ?
J'ai l'impression que mes yeux me jouent des tours !
- Il n'y a que les gens intelligents qui peuvent le dire grand-père ! se moqua-t-elle.
Le vieil homme ne put lui répondre car un « Chuuut » parcouru la foule, le silence s'installa.
Tous retenaient leur souffle et attendaient d'accueillir le héros du jour.
Soudain, quelqu'un s'avança sur la scène où l'orchestre avait joué...
Enfin quelqu'un...
Un cochon, oui un cochon, s'avança sur la scène !
Mais alors pas n'importe quel cochon ! Un superbe cochon, au pelage rose et au groin énorme. Et il portait une magnifique cravate autour de son cou gros et gras.
Belle Lurette faillit éclater de rire ! C'était une blague ?!
Mais à sa grande surprise, un « Oooh» admiratif vint de la foule.
Personne ne rit, les applaudissements éclatèrent... Et ce fût un triomphe!
Mais elle, au bout d'un moment, ne put se retenir !
Alors elle se mit à rire, à rire comme ses amis les nains, sans pouvoir s'arrêter, si fort que peu à peu tous se turent, et on n'entendait plus que son rire qui résonnait dans la nuit.
- Eh bien, cria enfin quelqu'un, pourquoi riez vous comme ça ? Ce n'est pas très poli !
- Parce que c'est un cochon ! hoqueta Belle Lurette qui s'étranglait de rire
- Ne le voyez-vous pas ? C'est cela que vous voulez ? Un cochon chef de village ?
Le temps sembla se suspendre... Une autre personne prit la parole :
- Mais c'est vrai ça que c'est un cochon ! regardez-le comme il est gras !
Il y eut un murmure approbateur dans la foule.
- Maintenant que j'y pense, c'était pas un âne l'année dernière ? cria une femme ! À nouveau, murmures dans la foule...
- Mais alors ! on se fiche de nous ! ajouta un autre.
Et ces mots furent comme une révélation pour tous ! Cette fois, la foule des villageois se mit à gronder,
Belle Lurette sentit que ce n'était plus drôle du tout et qu'elle ferait peut-être mieux de laisser ces gens régler leurs soucis entre eux.
Elle s'éloigna discrètement dans la nuit, tandis que le débat enflait et que les esprits s'échauffaient...
- Quel drôle d'endroit ! pensa t'elle, en regagnant le chemin qui sortait du village.
Qu'est-ce donc que ce Conseil des Sages qui fait croire n'importe quoi aux gens ?
Et comment est-ce possible que ces gens soient si
crédules ? Ou aveugles ? Ou ont-ils peur de passer pour des sots s'ils disent ce qu'ils pensent ?
Depuis combien d'années cette situation dure-t'elle ?
Que de questions, qui résonnèrent encore dans sa tête jusqu'à ce qu'elle se dise qu'il était temps de se reposer après toutes ces émotions.
Puis vint le temps d'une autre saison... La plus chaude.
Belle Lurette aimait marcher dans cet air lourd et parfumé, bourdonnant d'insectes, elle prit l'habitude de faire une petite sieste à l'ombre des arbres quand le soleil était trop fort.
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Chapitre 9: Le château sur la colline et le piedibus
Un matin, elle traversa des champs, où des gens travaillaient, car la moisson avait commencé...
Il y avait des hommes, des femmes et des enfants.
Un homme l'interpella :
- Hep jeune homme ! lui cria-t'-il, faites attention où vous marchez, ne couchez pas le blé !
Elle lui fit signe qu'elle avait compris et rit intérieurement de l'erreur qu'il avait faite.
Mais comme d'habitude, elle ne démentit pas.
- Le château est-il encore loin ? Demanda t'elle en mettant ses mains en porte voix. L'homme haussa les épaules :
- Eh bien ça dépend pour qui ! cria-t-il.
Comment ça « ça dépend pour qui »? Que signifiait cette réponse ?
Elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais l'homme avait repris son travail et elle n'osa pas le déranger à nouveau...
En effet, elle avait décidé de suivre le chemin qui menait au château sur la colline, il était toujours là à l'horizon, cette fois il n'avait pas disparu.
Mais étrangement, chaque jour il se rapprochait et chaque matin il s'était éloigné à nouveau, quel mystère !
On avait l'impression d'un décor de théâtre, qu'un metteur en scène capricieux ne cesserait de déplacer pendant la nuit.
Elle repris sa route et bientôt ne distingua plus les moissonneurs.
Par contre, elle aperçut au détour d'un virage, un poteau sur le bord du chemin.
Sur le poteau il y avait une pancarte qui disait: « Arrêt Piedibus ».
Intriguée elle s'arrêta.
C'était assez inattendu ce poteau en pleine campagne !
Elle regarda autour d'elle, à droite, à gauche, devant, derrière... Rien, juste les oiseaux qui pépiaient joyeusement.
Belle Lurette, curieuse, décida de s'arrêter là... Pour voir.
Elle s'assit et se mit à mâchouiller une herbe, cela l'aidait à réfléchir.
Qu'est ce que pouvait être un « Piedibus » ?!
Elle n'attendit pas longtemps pour avoir la réponse !
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Tout à coup les oiseaux s'envolèrent effrayés par un Tohu Bohu monumental !
Une espèce de grand véhicule allongé, rouillé, grinçant, fumant, sortit de la forêt.
Et à la place des roues, ce drôle d'engin avait... Des pieds !
Des pieds de toutes les tailles, toujours par deux bien sûr, qui couraient, voire même qui galopaient !
Chaque pied avait sa chaussure, mais elles étaient toutes dépareillées !
Belle Lurette, instinctivement, fit un signe au véhicule pour qu'il s'arrête, et arrivé à sa hauteur, le Piedibus freina de tous ses pieds, dans un nuage de poussière.
La porte s'ouvrit brusquement, et le chauffeur sauta sur le chemin.
Il portait de grosses lunettes de chantier et son visage était aussi noir qu'un ramoneur.
- Station de la Forêt, 2 mn d'arrêt ! hurla-t-il.
- Pouvez vous m'amener près du château ? demanda Belle Lurette
- Lequel Monsieur ? Il y en a beaucoup par ici !
- Eh bien, celui-ci là-bas, dit-elle en lui montrant le château sur la colline, qu'on pouvait voir, au loin
- À votre service Monsieur, hurla-t'il à nouveau, vous pouvez monter !
La jeune fille grimpa dans le bus et n'eut que l'embarras du choix pour s'asseoir, car elle était la seule passagère.
Le chauffeur repris sa place et referma la porte.
Le bus démarra dans un gros soupir et se remit à galoper.
Belle Lurette, bercée par son roulis, ne tarda pas à s'endormir.
Elle se réveilla brutalement, et faillit tomber de son siège, quand il s'arrêta à nouveau devant un nouveau poteau.
Le chauffeur entama sa petite cérémonie : il ouvrit la porte, sauta sur le chemin et hurla :
- Station Près du Château sur la colline, 2 mn d'arrêt !
Belle Lurette, sortit du bus et constata qu'il faisait presque nuit. D'ailleurs, on ne voyait plus le château.
Elle remercia le chauffeur qui repartit dans un fracas de boite de conserves, bientôt englouti par l'obscurité.
Elle frissonna et se rendit compte qu'elle n'avait plus du tout sommeil.
Elle avait fait une énorme sieste dans le Piedibus ! Elle décida de continuer sa route, le château ne devait plus être bien loin. À moins qu'il se soit encore éloigné ? On verra bien, se dit-elle.
Elle ramassa quelques lucioles qu'elle posa sur ses épaules pour y voir plus clair, et repartit.
Au petit matin,quand le ciel commença à s'illuminer, elle s'arrêta pour admirer le lever du soleil... Et aperçut le château !
Il était bien là, et elle constata qu'il était resté sur place cette fois-ci ! Il s'était même rapproché. Enfin, se dit-elle, voilà qui est plus logique.
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Chapitre 10 : Eliodor Doritien
Elle mit la journée pour atteindre ses alentours, et au bas de la colline s'aperçut qu'en fait, la colline était une montagne et que le chemin était très escarpé.
Ce jour, il avait fait si chaud et si étouffant que de gros nuages noirs s'accumulaient à l'horizon, et se rapprochaient dangereusement.
La jeune fille hésita puis décida d'entamer la montée.
Elle marchait d'un bon pas mais sentit très vite que l'orage serait plus rapide.
Et soudain, il éclata ! De mémoire de Princesse, elle n'avait jamais vu ça.
Le ciel entama une symphonie de tonnerre et de foudre pour exprimer toute sa colère, et cracha une pluie diluvienne qui la trempa en une minute !
Elle se mit à courir en se bouchant les oreilles, elle apercevait le château entre deux éclairs et se demandait quand elle allait pouvoir l'atteindre !
Avec la précipitation, elle faillit s'étaler dix fois dans le torrent de boue qui se formait sur le chemin. Hors d'haleine, elle crut que son coeur allait exploser.
Enfin, elle arriva devant la porte du château et se mit à tambouriner en hurlant « Au secours ! Au secours ! ».
Finalement, la lourde porte s'ouvrit en grinçant, et elle s'engouffra dans l'ouverture sans se poser de questions !
- Ah jeune homme ! Il était temps ! Nous ne vous attendions plus ! s'exclama une belle voix grave.
Belle Lurette essoufflée et dégoulinante, s'essuya les yeux pour mieux voir qui avait parlé ainsi.
Elle eut du mal à distinguer quelque chose car l'intérieur du château était très sombre, mais peu à peu ses yeux s'habituèrent :
un homme se tenait devant elle et brandissait une bougie dans son chandelier.
Cet homme semblait très, très vieux, avec ses cheveux blancs, son dos voûté et ses rides innombrables. Il avait l'air d'avoir au moins cent ans.
Et pourtant, il semblait aussi très, très jeune, quelque chose dans ses yeux, dans ses gestes pétillait de joie de vivre et sa voix résonnait comme une basse d'opéra.
- Je m'appelle Eliodor Doritien, secrétaire depuis de longues années de Mme Phéodora, mais vous pouvez m'appeler Eliodor, dit-il avec un sourire.
C'est moi que vous allez remplacer auprès d'elle.
Je vais vous accompagner à votre chambre, que vous puissiez vous sécher et vous reposer, avant de la rencontrer.
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Belle Lurette comprit qu'il la prenait pour une autre, ou plutôt pour un autre.
- Excusez-moi, mais je crois que... Mais il ne l'écoutait pas et lui fit signe de le suivre.
Il se mit à marcher d'un bon pas, étonnant pour un homme de cet âge, et il continua à lui expliquer comment les choses allaient se passer.
- Vous verrez, disait-il, je vous tiendrai au courant de tout !
Ce n'est pas si compliqué d'être le secrétaire de Mme Phéodora, il faut juste avoir quelques qualités indispensables : obéissance, discrétion et efficacité !
Soudain il s'arrêta si brusquement que Belle Lurette faillit lui rentrer dedans.
Il se retourna, se pencha vers elle et lui dit sur un ton de confidence :
- Je vous avoue, jeune homme, que je suis content que vous soyez enfin arrivé, je me languissais de prendre ma retraite !
J'ai une petite maison près de l'océan et j'ai hâte d'y cultiver mon jardin !
Il reprit sa route au pas de charge, tout en continuant à parler.
Belle Lurette se demanda si elle devait l'interrompre pour dissiper le malentendu, mais elle était si curieuse qu'elle décida de laisser les choses se dérouler.
Après avoir suivi un dédale de couloirs et d'escaliers, ils arrivèrent devant une porte.
Eliodor s'arrêta et fouilla dans sa poche, il en sortit un trousseau avec un nombre incroyable de clés.
- Regardez ça jeune homme, dit-il fièrement, toutes les clés du château sont là, bientôt ce trousseau sera le vôtre ! Et après avoir choisi une clé, il ouvrit la porte.
La jeune fille le suivit et entra dans une grande et belle chambre où un feu brûlait au milieu de la cheminée, avec un grand lit recouvert de moelleux édredons.
Elle frissonna, et se rendit compte que trempée comme elle était, elle avait très froid. Mon dieu cela faisait combien de temps qu'elle n'avait pas dormi dans un lit ?
Elle n'avait qu'une envie : quitter ses habits mouillés et se blottir sous les édredons !
- Otez vos vêtements pour les faire sécher, ordonna Eliodor, vous trouverez tout ce qu'il faut dans cette armoire, je viendrai vous chercher demain matin.
Avant de franchir le seuil, il s'attarda sur la pas de la porte :
- Mmm, vous êtes très joli garçon, marmonna-t'-il, j'espère que ce ne sera pas un souci ! Et sur ces étranges paroles, il sortit.
Belle Lurette mangea avec plaisir le repas qu'on lui avait laissé sur la table près du lit, puis trop fatiguée pour enfiler quoique ce soit,
se glissa nue sous les édredons et s'endormit aussitôt.
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Chapitre 11 : Mme Phéodora
Le lendemain matin, quand elle se réveilla, l'orage était passé et le soleil illuminait la chambre.
Le temps qu'elle essaie de rassembler ses idées, quelqu'un frappa à la porte. Elle reconnut
immédiatement la voix profonde d'Eliodor Doritien !
- Jeune homme êtes vous prêt ? Mme Phéodora vous attend.
- Oui, je suis presque prête... Euh prêt, elle se mordit la langue.
- Donnez- moi cinq minutes !
Elle sauta du lit et tâta ses vêtements de feuilles et de plumes, ils étaient encore humides.
- Zut alors, pesta-t'-elle, elle se précipita sur l'armoire et l'ouvrit : elle constata qu'il n'y avait
qu'un seul costume d'homme, trop grand pour elle.
- Zut, zut, pesta-t'-elle encore une fois, le temps pressait, et si Eliodor entrait dans la chambre?
elle serait découverte !
Elle enfila à la hâte l'unique costume et se regarda dans le miroir accroché à l'une des portes de
l'armoire. Décidément, il était vraiment trop grand.
Mais tout à coup, le costume se rétrécit par magie et s'ajusta exactement à sa taille.
- Non, non, se dit-elle, on voit trop mes formes de fille ! vEt aussitôt le costume semblant obéir à
tout ce qu'elle pensait, se fit un tout petit peu plus large. Parfait !
Elle courut à la porte et l'ouvrit.
Aussitôt, Eliodor se mit en marche de son pas énergique habituel, tout en lui faisant un long rapport
des consignes à retenir.
Belle Lurette n'écoutait rien, trop occupée à essayer de le suivre dans ce labyrinthe d'escaliers et de
portes.
- Vous avez compris ? demanda-t-il à la fin de son discours, s'arrêtant net devant une porte. Elle
faillit lui rentrer dedans une fois encore.
- Oui, oui, je crois, bredouilla t'elle, en pensant qu'elle n'avait rien compris du tout. Il ouvrit.
- Bien je vous laisse jeune homme! et lui faisant signe d'entrer, il referma derrière elle.
Belle Lurette examina la pièce et se sentit brusquement intimidée.
Elle était beaucoup plus vaste que la chambre où elle avait dormi, elle était meublée avec goût et
certains murs était tapissés de livres.
Une femme était assise dans un fauteuil et se leva à son entrée.
Elle était grande et très belle, mais ne semblait pas se rendre compte de sa beauté, quelque chose de
mélancolique émanait de sa personne, qui donnait envie de la consoler.
- Voici donc mon jeune secrétaire, dit-elle avec un doux sourire, Eliodor vous attendait de pied ferme,
le pauvre... Voyons, comment vous appelez vous mon jeune ami?
Aïe, Belle Lurette fut prise de court, elle réfléchit à toute vitesse:
- Je m'appelle ...Cléobert, Je m'appelle Cléobert! Pardon Papa, pensa- t'-elle en son for intérieur.
- Mmm, Cléobert, réfléchit la belle femme, c'est très joli... Il me semble avoir rencontré un Prince un
jour, qui s'appelait ainsi... il est devenu Roi depuis.
Enfin je crois.
Elle se tut un instant, plongée dans ses souvenirs, puis elle sortit de sa torpeur et son regard revint
sur Belle Lurette.
- Bien ! Je m'appelle Mme Phéodora, et à partir de demain, vous serez mon secrétaire particulier,
dit-elle d'un ton plus autoritaire.
Vous m'assisterez dans l'élaboration de mes élixirs, potions et poisons et vous serez chargé de
consigner les recettes dans des grimoires que je vous confierai...
Avez-vous bien compris? répéta t'elle comme Eliodor.
Il y eut un silence, non Belle Lurette n'était pas sûre d'avoir bien compris.
Tout à coup, elle regretta de n'avoir pas mieux écouté Eliodor tout à l'heure.
- Vous semblez étonné, mon jeune ami, lui dit- elle avec l'air préoccupé. Eliodor ne vous a pas prévenu
?
Je suis une sorcière et vous serez à mon service pendant une période incompressible de 80 ans !
Chapitre 12 : La sorcière magnifique
Ce soir-là Eliodor quitta le château, il vint voir Belle Lurette une dernière fois.
- Je vous confie le trousseau de clés jeune homme, il y a juste une chose à retenir. Voyez-vous cette
clé ? C'est la plus petite du trousseau, seule Mme Phéodora a le droit de s'en servir.
- Oh, et qu'ouvre-t'-elle cette clé ? s'étonna- t-elle
- Je ne peux vous le dire, répondit Eliodor en baissant la voix, c'est un secret, moins vous en saurez,
mieux ce sera pour vous.
Il tourna les talons et au moment où il allait sortir, sa valise à la main, elle le rappela :
- Attendez Eliodor ! Pourquoi Mme Phéodora est-elle si... triste ?
Eliodor se retourna et dit après un silence :
- Parce qu'elle aime, mais n'est pas aimée...
Une fois seule dans sa chambre, Belle Lurette pleura toutes les larmes de son corps, dans quel piège
s'était elle fait prendre ? Elle pensa à ses parents et ils lui manquèrent terriblement.
Comment allait-elle faire pour se sortir de là ? ...
Elle n'allait tout de même pas attendre 80
ans pour
quitter ce fichu château !
Elle comprit très vite qu'elle ne pourrait pas partir si facilement.
La nuit, tout l'extérieur du château était envahi d'une jungle de ronces impossible à franchir. Le jour,
les ronces se transformaient en magnifique fleurs, mais Belle Lurette ne pouvait échapper à Mme Phéodora
qui avait besoin de son secrétaire toute la journée.
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En attendant de trouver une occasion de fuir, elle dut donc s'adapter à sa nouvelle vie.
Finalement ses journées étaient bien remplies : tous les matins, après avoir pris un petit déjeuner dans
sa chambre, elle endossait le costume magique de l'armoire, et rejoignait Mme Phéodora dans ses
appartements.
Puis celle-ci l'amenait dans une pièce qu'elle appelait « son laboratoire » et elles se mettaient au
travail.
Et Belle Lurette, à sa grande surprise, ne s'ennuyait jamais et en oubliait même son malheur !
Elle observait la Sorcière, fascinée par son savoir, son intelligence et son habileté ! Elle fut étonnée
de constater que celle-ci était capable de mettre au point des sortilèges maléfiques mais aussi
magnifiques, et qu'elle s'intéressait aussi bien à la laideur qu'à la beauté.
Mme Phéodora était passionnée, et passionnante. Elle aimait partager son savoir et répondait volontiers
à toutes les questions que Belle Lurette/ Cléobert, lui posait.
Elle était à la fois autoritaire et douce, inquiétante et mystérieuse.
Le soir, dans sa chambre, Belle Lurette troquait son costume, contre ses vêtements de plumes et de
feuilles qu'elle trouvait si confortables, et se disait qu'elle n'aurait jamais cru qu'une Sorcière put
être aussi sympathique et séduisante.
Chapitre 13 : Le secret
Mais Mme Phéodora avait un secret, un secret qui la laissait triste et dévastée. Et ce secret était lié
à la
petite clé du trousseau.
Chaque jour, après l'avoir raccompagnée à sa chambre après la journée de travail, elle lui ordonnait de
lui
confier cette mystérieuse petite clé.
Elle la prenait fébrilement et disparaissait pendant une heure.
À son retour elle rendait la clé, sans un sourire et sans un mot, et Belle Lurette voyait bien que ses
yeux
étaient rouges, et qu'elle avait pleuré...
Elle aurait aimé la prendre dans ses bras pour la bercer, lui dire que tout allait s'arranger... Mais
elle
n'osait pas, et Phéodora, hagarde, repartait dans ses appartements avec son chagrin secret.
Le temps passa... La saison chaude commençait à toucher à sa fin.
Belle Lurette, qui était très curieuse, résista quelques semaines, mais un jour elle n'y tint plus, et
décida de percer le secret de Phéodora.
Elle lui donna la clé comme d 'habitude, mais ne referma pas complètement la porte de sa chambre, et
sitôt
la Sorcière partie, elle se glissa derrière elle et la suivit discrètement.
Celle-ci l'amena dans des endroits qu'elle ne connaissait pas, et après avoir grimpé plusieurs escaliers
en
colimaçon, elle s'arrêta devant une petite porte située tout en haut du château.
Elle ouvrit la porte avec la clé, entra dans la pièce et la referma aussitôt.
Belle Lurette resta cachée derrière un pilier, les bras ballants, ne sachant que faire. Elle attendit
quelques instants, et voyant qu'elle ne sortait pas, s'enhardit et s'approcha.
Elle colla son oreille contre la porte et entendit la voix de la Sorcière qui parlait d'une voix douce.
Mais
à qui parlait-elle ? Impossible de comprendre ce qu'elle disait !
Alors elle approcha son œil de la serrure mais ne distingua pas grand-chose. Déçue, elle revint se
cacher
derrière son pilier et attendit.
Cela dura presque une heure.
Soudain elle entendit le bruit de la clé dans la serrure, alors elle se précipita dans les escaliers
pour
regagner sa chambre au plus vite.
Essoufflée, elle
arriva juste à temps : à peine avait-elle fermé sa porte qu 'elle entendit frapper !
Elle ouvrit comme d'habitude et Mme Phéodora, le visage triste et les yeux vagues, lui tendit la clé et
repartit comme une automate.
Belle Lurette attendit la nuit, et sitôt qu 'elle fut sûre que le château était endormi, elle prit une
bougie, la petite clé et sortit de sa chambre sur la pointe des pieds. Grâce à ses sandales en mousse,
elle
ne faisait aucun bruit.
Elle remonta tous les escaliers qu'elle avait déjà grimpés un peu plus tôt, se trompa deux fois, puis
finit
par se retrouver devant la fameuse petit porte.
Le coeur battant, elle introduisit la clé dans la serrure, hésita un instant, puis après une grande
inspiration, tourna la clé et poussa la porte.
Elle entra, et par précaution la verrouilla à nouveau.
La pièce était petite mais la flamme tremblante de la bougie ne pouvait tout éclairer. Il y avait
quelque
chose qui ressemblait à un lit près du mur du fond.
Elle s'avança pour mieux voir : oui il y avait bien un lit, et dans ce lit était allongé un bel homme,
vêtu
comme un Prince.
Belle Lurette le regarda attentivement, et à sa grande surprise, reconnut le Prince Léosias !
18
À suivre…